15 mars 2008

SPEAK WHITE

C'est le 40e anniversaire du poème écrit par Michèle Lalonde, Speak White. Je ne sais pas si Laurent le connaissait. C'est frustrant de ne pas le savoir. Ou de ne pas pouvoir lui en parler.
Quand elle en a fait la première lecture au spectacle "Chants et poèmes de la résistance" au profit des prisonniers politiques Vallières et Gagnon, en 1968, j'étais là. Tout comme j'étais aussi à la Nuit de la Poésie, au Gesu le 27 mars 1970.



SPEAK WHITE


Speak white

il est si beau de vous entendre

parler de Paradise Lost

ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare

nous sommes un peuple inculte et bègue

mais ne sommes pas sourds au génie d'une langue

parlez avec l'accent de Milton et Byron et Shelley et Keats

speak white

et pardonnez-nous de n'avoir pour réponse

que les chants rauques de nos ancêtres

et le chagrin de Nelligan

speak white

parlez de choses et d'autres

parlez-nous de la Grande Charte

ou du monument à Lincoln

du charme gris de la Tamise

de l'eau rose du Potomac

parlez-nous de vos traditions

nous sommes un peuple peu brillant

mais fort capable d'apprécier

toute l'importance des crumpets

ou du Boston Tea Party

mais quand vous really speak white

quand vous get down to brass tacks

pour parler du gracious living

et parler du standard de vie

et de la Grande Société

un peu plus fort alors speak white

haussez vos voix de contremaîtres

nous sommes un peu durs d'oreille

nous vivons trop près des machines

et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils

speak white and loud

qu'on vous entende

de Saint-Henri à Saint-Domingue

oui quelle admirable langue

pour embaucher

donner des ordres

fixer l'heure de la mort à l'ouvrage

et de la pause qui rafraîchit

et ravigote le dollar

speak white

tell us that God is a great big shot

and that we're paid to trust him

speak white

parlez-nous production profits et pourcentages

speak white

c'est une langue riche

pour acheter

mais pour se vendre

mais pour se vendre à perte d'âme

mais pour se vendre

ah !

speak white

big deal

mais pour vous dire

l'éternité d'un jour de grève

pour raconter

une vie de peuple-concierge

mais pour rentrer chez nous le soir

à l'heure où le soleil s'en vient crever au-dessus des ruelles

mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui

chaque jour de nos vies à l'est de vos empires

rien ne vaut une langue à jurons

notre parlure pas très propre

tachée de cambouis et d'huile

speak white

soyez à l'aise dans vos mots

nous sommes un peuple rancunier

mais ne reprochons à personne

d'avoir le monopole

de la correction de langage

dans la langue douce de Shakespeare

avec l'accent de Longfellow

parlez un français pur et atrocement blanc

comme au Viêt-Nam au Congo

parlez un allemand impeccable

une étoile jaune entre les dents

parlez russe parlez rappel à l'ordre parlez répression

speak white

c'est une langue universelle

nous sommes nés pour la comprendre

avec ses mots lacrymogènes

avec ses mots matraques

speak white

tell us again about Freedom and Democracy

nous savons que liberté est un mot noir

comme la misère est nègre

et comme le sang se mêle à la poussière des rues d'Alger ou de Little Rock

speak white

de Westminster à Washington relayez-vous

speak white comme à Wall Street

white comme à Watts

be civilized

et comprenez notre parler de circonstance

quand vous nous demandez poliment

how do you do

et nous entendez vous répondre

we're doing all right

we're doing fine

we

are not alone

nous savons

que nous ne sommes pas seuls.


Poème écrit par Michèle Lalonde ©




Pierre Falardeau et Julien Poulain en ont tiré un film à l'Office National du Film du Canada.


Laurent connaissait cependant Pierre Falardeau. C'était un de mes collègues à l'Asssociation Coopérative de Productions Audiovisuelles où Pierre avait réalisé "Le Party". Laurent avait appris par coeur sa première chanson: "Déboutonne ton blues" qui figurait sur le CD Album; il avait 7 ou 8 ans; ma soeur Micheline lui avait donné une guitare jouet et un micro comme cadeau de Noël.

2 Comments:

At 11:41 a.m., Blogger Lisa-Marie Olney said...

Bonjour François,

Je continue de vous lire. Merci.
Je voulais simplement vous faire part que Laurent connaissait Speak White. Nous l'avions étudié au Cégep du Vieux-Montréal dans notre cours de littérature québécoise. Nous avions aussi parlé de Falardeau, qui avait travaillé avec vous, de ses films et du dit poème. Depuis que je connais Laurent, en 3e secondaire, nos discussions ont mené à votre vie, vos aspirations, vos rêves et vos projets. J'ai appris à vous connaître au travers ses yeux. L'ironie, c'est que maintenant, j'apprends à le connaître, via ce blog, au travers les vôtres.

Je pense toujours à vous, à votre famille, à ses amis...

Lisa

 
At 10:03 a.m., Anonymous Anonyme said...

J'étais aussi au Gesu le soir en question. La fameuse nuit de la poésie.

Merci pour le souvenir.

 

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