03 mars 2007

UN LIVRE UTILE 81

Le vendredi 30 sept. 2005
Comme à presque chaque occasion, où j’écris mes pensées dans ce livre, je me retrouve dans un état d’âme particulier. Soit choqué par un événement, une émotion ou encore la venue,-l’évocation- d’une idée nouvelle, je prends le temps d’inscrire ce qui marque ma vie.
La marque d’aujourd’hui prend un double sens. D’abord en relation avec ce livre, ensuite en relation avec ma propre perception de la vie et du mal. Je m’explique :
« The Voice of Fire »
Je suis présentement dans la cour intérieure du Musée National des Beaux-Arts du Canada. Nous sommes toujours en matinée, je crois. J’ai un peu perdu la notion du temps. Je ne porte pas de montre en ce moment. J’entends des chants comme j’entendais lorsque j’étais petit, à l’église, lorsque mes parents me forçaient de venir à la messe de minuit. Mon père y chantait parfois. À l’époque, je voulais rien savoir. Aujourd’hui, je tends l’oreille et je ressens l’énergie qui en ressort. C’est beau. J’en trouverai la source dans quelques moments.
J’ai passé les dernières heures à sillonner l’exposition européenne du musée. De sculptures de Napoléon de Canova aux impressionnistes (Manet, Pissaro, Van Gogh), j’ai vu et regardé sans être particulièrement impressionné. En fait, lorsque je suis entré, j’avais la ferme intention de trouver ce qui me faisait réellement tripper et pas m’arrêter uniquement aux grand noms, influencé par les noms et le prestige.
J’ai trouvé cette source d’inspiration auprès d’un tableau de Barnett Newman. Artiste américain de renom, il simplifie les formes et les couleurs au maximum. Trois bandes de couleur. Un rouge violet au centre et deux bleus foncés avec une teinte violette sur les côtés. À première vue, çà paraît tout simple. L’impression optique que cela crée lorsque la technique d’observation est appliquée correctement est fascinante. D’abord, on voit les bandes qui vacillent comme des flammes. Ensuite le tout s’illumine et la couleur change.
L’explication du tableau avec le guide audio-visuel est expliqué par un dénommé Claude Dupuis, le même nom que porte mon oncle. Il débite en expliquant qu’au XXe siècle, nous avons appris à survivre grâce au fait que nous maîtrisions le regard instantané. Il nous suggère d’arrêter ce mode dans le contexte de cette galerie et de regarder plus lentement. Il poursuit en expliquant le tableau.
Même si les côtés apparaissent droits, ils ne le sont pas. En fixant un côté, les couleurs s’intensifient, s’influencent. En tranférant notre regard de l’autre côté, on observe ce que Barnett Newman appellera «The Event».
On comprend cet effet optique en réfléchissant à ce que Newman a dit : «We are building cathedrals out of ourselves…Art is as much what takes place inside the spectator as it is the object on the wall…The meaning which we choose to bring to this pane will be determined by what we saw and also will reflect who we are.» So we become collaborators with the artist, responsible for our own vision. Being totaly free of approaching this expectation.
Cette illumination de tableau est une illumination pour moi. La constatation de l’ignorance de la technique pour regarder le tableau jumelé au petit temps consacré à son observation lors de ma première visite explique ma répulsion initiale envers ce tableau. Il prend en effet une signification toute particulière aujourd’hui. C’est grâce à ce savoir (le guide audiovisuel) et au fait que j’ai pris mon temps qu’est apparue cette double illumination (à la fois du tableau et de ma vie). Le secret c’est d’avoir le savoir et de prendre son temps.
Lorsque j’étais à Montréal en début de semaine, j’ai apposé un canevas sur un cadre. Une idée que j’avais eue il y a longtemps avec Ben et Serenga, de peindre le mur qui longe le devant de ma salle de bain. La toile me semble avantage appropriée étant donné la nature volatile et aussi fixe des situations de locataire. Bref, je crois qu’il serait peut-être une bonne idée d’y reproduire une toile de Newman, question de me rappeler ce moment que je viens de préserver, cette illumination.
Tout ceci sert à m’indiquer qu’il est peut être préférable désormais de me fier davantage aux sentiments qu’à l’esprit rationnel.
Lo



Vous aurez compris, ami(e)s, que ce jour-là, Laurent a cessé sa relation avec ce cahier de notes qu'il avait débuté le 6 octobre 2002. Il l'avait laissé dans sa chambre sur une tablette , avec sa pile de Harpers, une demande de permis de possession d'armes à feu à demi complétée, les livres albums de son parrain et marraine, quelques vidéo-cassettes et son diplôme d'études secondaires.
Treize jours plus tard, Laurent prenait l'avion pour Paris. Je ne le reverrais plus vivant.
Le décodage souvent ardu de sa calligraphie est terminé. Mais n'eût été de cet effort, je doute qu'il m'aurait été possible de saisir à ce point la complexité, la richesse et la profondeur d'une personnalité, fut-elle celle de mon propre fils. La vie moderne nous garde souvent hélas à la surface des choses. Le partage de ces découvertes-et j'en ai fait beaucoup- vous vous en doutez, va se poursuivre encore quelques temps. D'une autre manière. Autrement. Par les mots qu'il avait plaisir à échanger avec plusieurs d'entre vous par courriel.
Ce sera plus simple pour moi: copier, coller.
Peut-être aurez-vous le goût d'ajouter votre grain de sel ou une précision ou le contexte? Cela me fera grandement plaisir. Je n'en saurai jamais trop. Et vous seul, que je connais encore moins, mais qui l'avez fréquenté, pourrez étendre mon savoir de lui.
François, son papa.