29 mai 2006

Lettre de Laurent

Je n’ai rien inscrit sur ce blogue depuis plus d’une semaine.
Le temps me manque un peu ? Oui. Mais il y a autre chose.
Si l’auto-censure est un piège; se livrer, comme je le fais, peut l’être autrement.
Écrire porte à conséquence; ne pas écrire aussi. Certains propos peuvent être inappropriés pour certaines personnes. Désolé. Je n’ai pas l’intention de blesser qui que ce soit. Il me faut aborder mes hantises; je ne suis pas le seul à être affecté par les mêmes, hélas.
Qu'est-ce que la pudeur? Qu'est-ce que la dignité? La décence? Dans cet exercice, je ne réponds qu’à mon plaisir et ma douleur. Ceux qui s'amènent ici viennent faire plus ample connaissance avec Laurent et moi; dans mon esprit, ils cherchent à savoir, à comprendre mieux. Les assoiffés de morbidité ont bien d'autres espaces où s'abreuver.
Étrangement, j’aurai pris moins de temps à me décider à recommencer d'écrire ce blogue qu’à répondre à la dernière lettre de Laurent. Il est parti pour la Chine sans avoir pu en prendre connaissance; elle m’est revenu cachetée dans ses affaires. C’est le seul geste dont je me sens coupable quand je m’imagine qu’elle aurait peut-être pu lui sauver la vie."…Même si tu as l’impression de sombrer dans le grand livre des souvenirs de certaines personnes, d’autres personnes sur un autre continent te tiennent toujours en haute estime! J’ai rencontré, hier, une dame québécoise, qui te connaissait bien. Malheureusement ma mémoire étant ce qu’elle est je ne me souviens plus de son nom. Elle avait participé à la Cuisine Rouge, un film tourné chez Albanie Morin avec Jacques Leduc. Je devrais la revoir d’ici peu. J’en fais un devoir de te rapporter son nom!
Cette rencontre pour le moins inusitée _ à la délégation du Québec dans le cadre d’un discours sur la Montréalisation de Paris donné par le maire Tremblay_ jumelée à la lecture de ta lettre , il y a quelques instants , me porte à te demander une question, une réflexion sur un sujet qui me hante depuis longtemps. Je t’avoue que c’est la combinaison de plusieurs facteurs qui me poussent à te la poser aujourd’hui. Mais le facteur le plus important sans doute, c’est que je ressens dans ta lettre une paix intérieure; une sobriété, une modestie qui révèle un calme intérieur qui lui est, j’espère, le fruit, l’aboutissement d’une réflexion sur ta vie.

Ce que je te demande , c’est de m’expliquer, de me compter ta vie. Ce qui t’a mené vers le cinéma, mais aussi ce qui fait que tu l’as quitté.

Çà fait des années que je refoule cette question. Parce qu’au fond, je ne sais pas qui est véritablement mon père. Le résultat de ma propre volonté me mène aujourd’hui à une volonté contraire. Je veux savoir, je veux connaître les forces et faiblesses de la personne la plus importante dans la vie d’un garçon.

En d’autres mots, je veux apprendre de tes erreurs, de ton vécu, de tes 57(Sic) années d’expériences. C’est le plus beau, le plus généreux héritage que tu vas laisser. « Ta Vie » me permettra de faire la paix avec le seul ¨démon ¨ intérieur (Pour reprendre l’expression de Michèle, ma mère). Il y a beaucoup de moi qui en dépend.

Depuis quelques semaines, j’explore les opportunités de maîtrise et de projet de thèse de B.A., que je dois rendre en décembre prochain. Je crois que « Ta Vie » ne pourrait pas nuire à ce choix important que je dois bientôt faire.

Avec le récit de ta montée et celle de ta chute (ton dernier film et tes derniers jours à l’ACPAV, les mois qui ont suivi, la mort de ton père, etc.) je crois que je pourrais mieux cerner mes propres forces et faiblesses et ainsi tenter de les éviter lorsque j,en détecterai le ferment en moi ou les circonstances dans mon environnement.

C’est le plus beau cadeau que tu puisses me donner maintenant. S’il porte fruit, tu aurais raison de croire que c’est le plus beau cadeau que tu m’aies offert. Sur ces quelques pages que tu pourrais écrire, repère un grand nombre de décisions ou tout au moins de facteurs de décision. Après des années de spéculation de ma part, je veux la vérité vue à travers tes yeux!

N’aie surtout pas peur de me décevoir ou de me désillusionner. Pour moi, la vérité, je la perçois au sens Nietzchéen du terme, c’est-à-dire « des illusions dont la nature illusoire a été oubliée »."


"Moi, j'ai souffert d'épuisement. L'insécurité financière avait poussé mon niveau d'anxiété à sa limite. Sans revenu, il m'était devenu insupportable d'accepter le stress qui accompagne toute activité de création. Il m'a fallu la traversée de l'Atlantique et Une Histoire de Gars pour recharger les batteries de cette passion. Encore là, ce dernier film m'a coûté très cher. J'en suis venu à un cheveu de devoir hypothéquer notre maison. Heureusement, ta mère s'y est opposée.
Une des raisons qui font que je n'accompagne pas le voilier Cap Lib dans son retour vers Madère est que je n'ai pas trouvé un nouvel angle pour aborder cette nouvelle aventure; je ne tiens pas à refaire le même film. De plus, je termine mon emploi au CLSC le 7 avril prochain. Je ne veux pas prendre le risque d'un nouvel endettement. La sagesse de renoncer s'installe graduellement. Encore aujourd'hui et à mon âge, j'apprends encore à reconnaître mes limites.
Une de celle-là est le rapport à l'argent. Le tien ne m'apparaît pas semblable au mien et c'est tant mieux. Ton grand-père et ta grand-mère ont fait d'incommensurables sacrifices pour me permettre d'étudier. En mon temps, il n'y avait pas de prêts et bourses. En tant qu'aîné de 3 frères et 3 soeurs, j'ai été témoin des miracles que tes grands-parents ont dû faire pour nous loger, nous nourrir et nous vêtir. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à me départir de ce sentiment de pauvreté. C'est sans doute pour cela que la portée d'une frustration n'a pas de valeur à mes yeux. Il m'arrive de faire comme si elle n'existait pas. C'est tellement facile avec le crédit. Mais çà joue aussi des tours. La vie et la banque se chargent de nous le rappeler. Le reconnaître est quand même un commencement. Savoir que ta mère et moi avons pu t'épargner ce contexte me réjouit.
Pour le moment le retour de ta soeur me préoccupe davantage. Elle doit rentrer de Dallas en auto le 18 avril. Une nouvelle vie et un nouvel appartement l'attendent sur Sainte-Catherine dans l'est. J'espère qu'elle saura compter sur notre affection et la tienne pour affronter l'échec de son mariage. Elle a le mérite de savoir ce qu'elle veut et Dieu merci, elle non plus n'a pas le même rapport à l'argent.J'avais tu inconsciemment la raison principale de ma fuite du milieu du cinéma: l'orgueil. L'échec du montage financier du projet YAMACHICHE sur lequel j'avais besogné en développement pendant plus de 7 ans m'a rendu aveugle à tout ce que j'étais; j'en étais responsable; il me fallait en payer le prix.
Demain. Une réponse restée lettre morte: Ce qui m'a mené au cinéma.