28 novembre 2008

VOUS CONNAISSEZ ROSALIE-ANNE?

Dans l’affluence au salon funéraire, j’avais croisé Rosalie-Anne sans l'avoir particulièrement remarquée. Quelqu’un y avait perdu sa montre. C’était elle.
Le premier vrai souvenir que j’aie d’elle remonte plutôt à la soirée qui a suivi l’hommage de l’université McGill. Rue Saint-Élizabeth, à Montréal, une vingtaine d’étudiants s’était retrouvée à l’appartement de Laurent où logeaient ses amis Sébastien, Fabien et Paul; y étaient encore entreposées ses affaires, depuis son stage à Paris. Yumiko étaient là affectivement entourées de ses amies. Les gars avaient commencé à boire, ; je faisais leur connaissance. Chacun avait apporté un plat.
Ce soir-là, Michèle se souvenait que Rosalie avait perdu sa montre et me la présenta à nouveau. Étudiante en droit, elle me raconta comment elle avait connu Laurent par hasard à la bibliothèque de McGill. Ils s'étaient spontanément liés d'amitié. Nous étions fin avril.
En juin, Rosalie-Anne et sa famille firent un voyage en Chine. Elle m’offrit de ramener de Beijing les informations qu’elle pourrait trouver soit à l’ambassade canadienne, soit à la clinique SOS International; à cette fin, je la munis d’une procuration l’autorisant à agir à ma place; elle voulait rapporter les premières images de l’environnement dans lequel Laurent avait passé ses dernières heures. Je voulais savoir s’il y avait des découpures de presse. Pourrait-elle vérifier si le temps écoulé entre la fuite à pied de la clinique et le lieu de l’accident était vraisemblable. L'heure de sa disparition déclarée à l'ambassade par la Clinique était contradictoire avec celle obtenue de l'ambassade. Y avait-il une explication?
Pour éviter qu’elle ne se retrouve seule dans cette aventure, je la mis en contact avec une amie de Pierre B., un co-équipier avec qui j’avais traversé l’Atlantique en 2003; celle-ci travaillait à Beijing et m’avait déjà relayé par courriel des rumeurs recueillies dans son entourage.
Je retrouvai Rosalie-Anne à Paris, fin juin; elle y travaillerait pendant l’été. J’étais là pour enregistrer sur vidéo le témoignage des étudiants de Sciences Po qui avaient accompagné Laurent en Chine. En dînant sur une terrasse dans Montmartre, elle me raconta sa visite fort émouvante au lieu de l’accident; sa mère l’accompagnait; certains faits leur apparaissaient invraisemblables et intrigants. Le lendemain, une visite à la clinique avait failli mal se terminer: elle et l’amie de Pierre furent expulsées et menacées de dénonciations à la police pour avoir pris des images sans autorisation. Les clips vidéo et les photos avaient été transférées sur CD; je devais voir ces images plus tard chez un autre étudiant de MGill à Sciences Po et ami de Rosalie-Anne : Mekki. Il y aurait d’autres collègues de Laurent; j’en profiterais pour recueillir leurs commentaires avec Lionel, un caméraman professionnel qui avait accepté de m’accompagner bénévolement pendant trois jours dans cette démarche.
Ce fut touchant. Elle avait rapporté une grande carte de Beijing et une photocopie noir et blanc d’une découpure de presse avec photo. Cette image donnait une nouvelle réalité à un accident que nous n’avions pu jusque là, que soumettre au pouvoir de l’imaginaire. Avant de me remettre cette découpure, Elle m’avait demandé si je savais comment Laurent était vêtu le jour de l’accident.
Jeans et polar noir.
Rosalie-Anne voulait se convaincre – elle en doutait encore – que le corps étendu sur l’autoroute que l’on pouvait voir de loin devant l’autobus était bien celui de Laurent. Pendant près de 45 minutes nous avions tous les yeux rivés à l’écran de l’ordinateur portable. Les photos étaient éclairantes. Les clips vidéo nerveux. Entre de longs silences, Rosalie-Anne ajoutait des informations pertinentes.
Je pus enfin voir le building devant lequel l’irrémédiable s’était produit. C'était plus qu’une adresse dans un rapport de police. Un repère.
Je serais toujours reconnaissant à Rosalie-Anne d’avoir pris le risque de me rapporter ces images réconfortantes. Elle me laissa le matériel pour en faire une copie, en me signalant que se trouvait aussi sur les disques compacts d’autres images de son séjour familial en Chine. Pour moi, c’était un cadeau qui valait tout l’or du monde. Des archives qui seraient intégrées au prochain film que je voulais faire en gestation.
De retour au Québec, ce furent les premières images que je regardai avec Michèle.

Puis, elles disparurent.
Avec celles des funérailles, c'étaient les premières que je voulais stocker sur mon ordinateur pour amorcer le montage.
Je ne retrouvais plus le CD. Je fis un grand ménage.
Aucune trace. Une grande perte dont j'étais responsable.
Je regrettais de ne pas avoir pris soin de sauvegarder cette précieuse cassette dès l'arrivée.
Toutes mes filières et dossiers furent passées au peigne fin. Comment ne pas se souvenir de l’endroit précis où, ce matériel avait été déposé. Je l’avais bien caché.
J’examinai la séquence tournée dans l’appartement de Mekki. Je pouvais voir la pochette de plastique verte transparente, l’opération d’insérer le CD dans l’ordinateur portable sur la table du salon, quelques images sur l’écran. Il me fallait trouver ce CD.
J’examinai dans mon lecteur le contenu de toutes les pochettes et cassettes quelle qu’en soient la couleur et l’inscription.
L’aurais-je jeté à la poubelle par mégarde? C’était ma pire appréhension.

Au printemps, Rosalie-Anne passa faire un tour à la maison; elle venait reprendre possession des CD; je ne puis que lui dire qu’ils étaient quelque part dans la maison, que je les avais égarés et que je continuerais à les chercher. Elle affirma que ce n'était pas grave, que je les retrouverais certainement.
Je recommençai à scruter tous les recoins de ma pièce de travail avec le plus de minutie possible. Il ne me restait qu’une étagère à inspecter une autre et dernière fois. Je n’osais pas recommencer de peur que je dusse conclure qu’elles étaient irrémédiablement perdues.
Cette disparition m’a obsédé pendant deux ans.
Je traînais cette perte comme un boulet. Pour les photos de famille de Rosalie-Anne. Pour ce dernier lien spatial que j’avais réussi à établir avec mon fils.

Quelque part, cette disparition pesa lourd dans ma décision d’aller à Pékin au printemps dernier. Il me fallait des images de là-bas. Je n’avais plus rien à me mettre sous les yeux.

Au moment de terminer le récit de ce voyage à Beijing, je me demandais comment j’allais poursuivre l’entretien de ce blogue. J’avais comme plan de raconter la démarche de faire le film entrepris dans les jours qui ont suivi le décès de Laurent. Je me sentais presque d’attaque. Il fallait bien que je finisse par me jeter à l’eau. Les images de Rosalie-Anne et de sa copine me manquaient malgré celles que j'avais ramenées; j'avais encore une raison de ne pas plonger.

Ce jour-là, Michèle discutait avec sa mère au téléphone de la façon de remplacer par un autre appareil, le iPod que nous lui avions donné à Noël .
Il n’y a plus de baladeur sur le marché.
Peut-être un lecteur de disque portatif ferait l’affaire.
Laurent en avait un; fonctionnait-il encore?

Elle monta dans la chambre de Laurent et en descendit avec trois CD. Ceux de Rosalie; ils étaient rangés dans une boite de carton remplies des cassettes vides de sa musique.

Courriel immédiat à Rosalie-Anne. Ça y est. Michèle les a retrouvés.
Ouf!!! Quel soulagement!

On se retrouve au téléphone.
Les envoyer par la poste…Pas question.
Quand est-ce qu’on se voit?
Nouveau hasard : Rosalie-Anne vient près de chez nous dans une dizaine de jours. Concert populaire : Classique et West Side Story, à l’église de Saint-Chrysostome, avec l’Orchestre Symphonique de l’Isle. On se retrouvera là.

Rosalie-Anne joue du violon.

C'était à l'Action de Grâce.




02 novembre 2008

REMERCIEMENT

Il arrive qu'en allant rendre visite à Laurent au cimetière quelqu'un soit passé avant.
Un bouquet a été laissé. Une carte.
À cause de la calligraphie ou une interprétation erronée, la provenance parfois nous échappe. S'amorce une quête: hypothèse, communications téléphoniques,
courriels, le tchat de Facebook; des bouteilles à la mer. Chacun ses jeux. C'en est un
À chaque fois cependant, c'est comme-ci de la grande visite inattendue
avait frappé à la porte. Quelle agréable surprise!!!
Nous ne sommes pas seuls en son souvenir.
Seuls à assumer le poids de sa disparition, sa perte.
Une manifestation de solidarité.
Un don de temps pour la mémoire.
En ces jours où les USA annoncent en avoir une vivante,
un gros merci à la maman de Christophe Fortier-Guay,
un des rares amis québécois encore à Paris.
Il y travaille maintenant.
Elle est passée par chez nous.