25 août 2008

LE 3E PÉRIPHÉRIQUE

Je suis aussi ici pour faire des images.

Je continue; cette fois, en plantant la caméra, de coin de rue en coin de rue, à partir de la plus vraisemblable sortie, derrière SOS International . Je me rends ainsi pour la dernière fois, à l’endroit où l’accident est survenu par un trajet imaginaire mais possible.
J’arrive au 3e périphérique par la Dongzhimenwai Dajie, une large avenue le surplombe et débouche sur le Centre d’exposition national de l’agriculture; je filme en surplomb le flot intarissable de véhicules en provenance du sud. Le parapet s’enjamberait aisément pour quelqu’un qui voudrait attenter à ses jours.
Cette autoroute urbaine est parfois surélevée, encaissée ou simplement à la surface; si ce n’est pas là, plus au nord ou au sud, il a fallu que Laurent emprunte une voie pour la croiser et se retrouver à l’est de celle-ci. Je traverse là.
Il n’y aura donc qu’une mince partie du trajet dont je serai assuré qu'il a été suivi par Laurent: au sud du pont Chang Hong. Même si deux ans plus tard, le petit building du no.1 Bai JIa Zhuang Dongli , témoin de l’accident, a laissé place à un immense terrain vague clôturé. À chaque coin de rue, j’accumule des images qui n’ont peut-être de sens que pour moi.

Je suis aussi ici pour faire ces images.

Je rentre à pied en passant par l’ambassade canadienne. Une enveloppe m’est destinée : le croquis des enquêteurs. L’emplacement de l’incident de la Santana n’y est pas identifié. Dois-je insister et demander de nouvelles explications aux policiers? Les employées de l’ambassade m’ont signalé qu’elles se sont donné beaucoup de mal pour obtenir ce document. J’aurais aimé revoir les photos; ma mémoire me fait défaut; il ne me semble pas que les photographies des traces de pas sur le capot et le toit de cette automobile aient été prises sur les lieux de l’accident? Je fabule ? Est-il possible de douter d’un rapport des autorités chinoises?
J’ai hâte de lire les clips de Sinofile et voir si cet élément est mentionné dans un des 26 articles repérés dans la presse électronique. Mais, un courriel, envoyé la veille mentionne qu’après vérification, leur département de comptabilité n’a pas retracé l’argent. Réponse : J’ai le reçu de la Banque de Chine. Téléphone. Le correspondant veut une copie par fax.
Il est 14 h 00 quand je paie ma note finale au Home Inn Hotel. Un supplément est exigé; l’heure réglementaire est midi. Pas moyen de négocier.
Un taxi traverse la ville par le 3e périphérique, en direction de l’ouest et me laisse au Beijing Friendship Hotel. On m’aide, sans ascenseur, à monter mes bagages, au 4e étage, no 61843. C’est l’appartement occupé par Laurent et trois autres étudiants de Sciences Po.: corridors, salle de bain, cuisinette, salon, une chambre au fond qui forme le coin de l’édifice, deux lits. Dans lequel dormait-il? Je prendrai celui du fond, près de la fenêtre qui donne sur le... 3e périphérique.
Quelle émotion! Avec Mozart sur IPod.
Mais, je suis aussi ici pour faire des images.

18 août 2008

IMAGES DE CULTURE

Une autre journée. La dernière à cet hôtel, le Home Inn, près du quartier des ambassades. Je fais des images à SOS International dans la cour intérieure : les trois sorties dont deux ont des guérites et des barrières. Par laquelle est-il passé?
Le témoignage de Laura S. à Paris m’est resté en mémoire; je décide de refaire son parcours le plus exactement en vue de l’illustrer éventuellement. Au bout du canal, du bon côté cette fois, je dois trouver une station de pousse-pousse. J’y arrive et pointe à un conducteur sur une carte la station de métro où s’était terminée la recherche que Laura avait effectuée avec Laïla. Il s'agit plus d'un tire-tire; le conducteur est devant.
Une atmosphère. C’est midi. Les chinois sortent pour dîner. À l'arrivée, un McDonald à proximité, tel que situé dans son dernier courriel.
Je passerai l’après-midi à faire des courses en taxi après avoir rapporté l'équipement à l'hôtel.
Je retourne à la fabrique de soie y faire l’achat de doux souvenirs. J’y prends mon temps et retrouve le guide de la muraille qui évidemment ne me reconnaît pas; nous devons tous nous ressembler, les occidentaux. Comme je cherche encore pour Michèle un chemisier matelassé en coton, il inscrit des indications en chinois dans mon carnet de notes. Aucun chauffeur de taxi n’arrivera à les décoder; Michèle devra se contenter d’un châle en soie.
La traductrice de la veille téléphone en fin de journée pour n’annoncer que j’aurai demain le plan technique de la police.
Je dîne seul en expérimentant des mets nouveaux chaque soir. C’est vrai qu’il s’agit d’une des cuisines les plus raffinées du monde.
En fin de soirée, à la télévision, à 21 h 00, je suis, depuis mon arrivée, une émission genre Star Académie de grands airs d’opéras italiens, allemands et français. Les artistes ne font pas que s'exécuter; ils doivent aussi faire preuve de connaissances historiques. De la culture aux heures de grande écoute!!! De grandes voix chinoises qui me rappellent à quel point le chant est universel et…aussi olympique.

06 août 2008

MOMENTS DE VÉRITÉ

Je me retrouve dans une pièce rectangulaire, meublée d’une grande table de bois et de fauteuils recouverts de tissus.
Devant moi deux policiers ont pris place : un officier dans la cinquantaine et un plus jeune; un cartable est déposé sur la table entre nous. À ma droite, une traductrice, assignée par l’ambassade canadienne. En entrant, j’ai laissé au bout de la table sur un fauteuil, la caméra numérique, la caméra vidéo et le trépied.

Abruptement, l’officier me demande ce que je veux savoir. Qui dois-je regarder? La traductrice ou l’officier?
Pris au dépourvu, je demande ce qui me préoccupe le plus .
-Selon vous, est-ce un accident ou un suicide comme l’ont prétendu des journaux électroniques?
-Nous n’en savons rien. Aucune preuve, aucun indice que ce soit un suicide. Traverser en courant cette autoroute urbaine est cependant incompréhensible. Inexplicable. Insensé même.Vous devriez interroger les étudiants qui étaient avec lui…S’ils avaient des indices, nous n’avons pu les interroger; ils étaient déjà partis quand nous nous sommes présentés à l’hôtel.
Ma compréhension de sa gestuelle précède la validité de la traduction.
L’officier feuillette le cartable devant lui et ajoute :
-Dans notre rapport et celui du médecin légiste, vous ne trouverez aucune allusion au suicide.
-Pouvait-il être poursuivi?
-Nous n’avons pu recueillir aucun témoignage à cet effet.
En indiquant le cartable :
-Puis-je jeter un coup d’œil à ce rapport?
La traductrice n’a pas commencé que l’officier a tourné et poussé le dossier vers moi.
Je l’ouvre presque religieusement.
Je reconnais les documents chinois que nous a fait parvenir l’ambassade et dont il vient de parler.
Puis les photos. Trois séries.
Sur l’autoroute urbaine. Une voiture endommagée. À la morgue.
Je tourne les pages lentement. Sur les lieux de l’accident, elles sont prises à une bonne distance. L’officier me montre du doigt les dommages mineurs à l’autobus.
Il y a une page avec des photos d’une Santana 2000, avec un pare-brise éclaté. Avant de s’engager sur l’autoroute, Laurent se serait retrouvé subitement devant cette voiture et l’aurait enjambé. Des traces de pas sur le capot, le toit et le coffre ont été photographiés.
Je sens la présence de la traductrice près de mon épaule. Elle pousse un « Oh, My God. » en voyant la dernière page de photos. La morgue. Laurent étendu, revêtu d’un coton ouaté noir du World Mun et de son jean bleu. D’autres où mon fils est nu. Les blessures sont détaillées, particulièrement celle de son occiput. Il a encore les yeux ouverts. Dans le vide. Je trouve qu’il a beaucoup d’ecchymoses sur le corps. Sa chevelure est imprégnée de sang et de sueur; je passe tendrement mon doigt dessus. Une dernière caresse et aussi une façon de m’assurer que je ne fais pas un cauchemar. Quelques larmes.
Il me faut tourner la page. Plan technique à l’échelle des lieux. Pour me re-donner une contenance :
-Puis-je faire des photos?
-Oui…sauf celles du médecin légiste. Nous n’avons pas l’autorisation.
Je m’exécute pour celles du 3rd Ring Road.Clic.-Acceptez-vous d’être photographié?
Ils font signe que oui et rajustent leurs uniformes.
Re-clic.
Je n’ose aller plus loin.
Et m’adressant à l’officier :
-Est-ce vous qui avez mené l’enquête?
-Oui, c’est moi. Je m’en souviens très bien même après deux ans.
Il y a de l’empathie dans sa voix.
Le plus jeune policier glisse un mot en anglais. Je comprends alors qu’il s’agit de LEUR interprète.
-La collision de votre fils avec l’autocar et son décès est pour nous un accident imprévisible.
Il reprend de fait la conclusion officielle de l’enquête.
J’ajoute pour conclure.
-Veuillez féliciter monsieur l’enquêteur pour la rigueur et la précision de son rapport et le remercier pour m’avoir permis d’avoir accès à toute l’information en sa possession.
Traduction. Sourire.
-Merci, c’est notre travail.
Poignées de mains.

Dans la cour intérieure, le chauffeur nous attend et la traductrice m’offre de me reconduire directement à mon hôtel.
Seul à l’arrière, je me sens démoli. Je rapporte deux photos. Pas de vidéo.
J’aurais souhaité obtenir l’autorisation de contacter les conducteurs de l’autocar à deux étages et de la Santana pour avoir directement leurs versions. Je n’ai pas eu la force de le demander.

En après-midi, je me détendrai en faisant des plans sur trépieds le long du canal. C’est le parcours fait par Laïla B. et Laura S. tentant de retracer Laurent alors qu’il était déjà mort. J’ai dû emprunter le mauvais côté; je n’aboutis pas au même endroit.

Sinofile a retrouvé 26 articles sur le web. On me demande 400$. Savoir n’a pas de prix. Marché conclu. Il faut faire un transfert bancaire.

Pourrais-je obtenir une copie du plan à l’échelle fait par la police ?
Téléphone à l’ambassade. Madame Yue va leur adresser ma demande.