22 avril 2009

MONTAGE 12

J’ai eu peu d’occasion pendant le voyage à Paris, de filmer des mises en situation.
J’en avais imaginé une où il aurait été possible de converser avec trois étudiants en même temps; Rosalie T. est rentrée de Chine dans la même période, avec les premières photos et clips de la clinique SOS internationale, et la série d’aventures qui a entouré leurs captations. Je lui avais donné une procuration pour agir en notre nom et recueillir le plus d’informations sur les circonstances entourant le décès de Laurent.
Un soir, nous avons dîner ensembles et elle accepta que j’organise une soirée où elle pourrait partager ses impressions et nous faire voir ses images sur un laptop. J’avais pensé que Soushiant, Jan-Christoph et Mekki pourraient être de la partie; tous trois était allé avec Laurent à la clinique; ce ne fut pas possible. Soushiant travaillait et Jan Christoph était encore dans le sud de la France, à l’école militaire d’été de Grenoble.

Le 3 juillet, je me retrouvai chez Mekki L., dans le 7e arrondissement, avec Rosalie et Alexandre J., mon filleul étudiant à la Sorbonne et évidemment Lionel, le caméraman.

Le périple de Rosalie avait demandé bien du courage; elle et sa mère s’étaient rendus à la clinique et avaient obtenu facilement un rendez-vous pour le lendemain avec la médecin allemande qui avait traité (!) Laurent; elles se rendirent aussi au lieu de l’accident en filmant avec une caméra numérique un parcours possible; ils lui rendirent là un hommage au nom d’amis commun.
Le lendemain, la médecin ne s’est pas présentée; Rosalie et une ingénieure québécoise, travaillant à Beijing, qui m’avait offerte de l’aide, ont été reçues par une agente de communication chinoise qui tenta de les emberlificoter. Elles en vinrent à se faire menacer d’expulsion par la police, non sans avoir utilisé bien des stratagèmes pour capter tant à l’extérieur que dans la zone verrouillée de la clinique un long clip des lieux d’où Laurent avait réussi à s’échapper.

C’est à l’occasion de cette soirée, que Rosalie me remit la première page d’un journal électronique de Laurent gisant sur le pavé, devant un autobus à deux étages affichant la tenue des olympiques; l’ambassade canadienne avait accepté de lui remettre. Des traits sur la carte topographique de Beijing et les mouvements et la lumière de l’écran du laptop me donnent enfin une vision spatiale des circonstances qui m’ont arraché Laurent,

Le caméraman a bien couvert cette mise en situation avec de bons plans de coupe pendant que Mekki et Alexandre tentent d’apprendre, en même tant que moi, ce qui a pu réellement se passer. Il y a des contradictions entre ce qui a été raconté aux étudiants, ce qu’on a répondu à Rosalie, et le rapport médical en ma possession; nous les partageons; mais nous savons tous que rien de cela ne le ramènera à la vie.
Les autorités médicales veulent éviter des poursuites juridiques quel que soit leur niveau de responsabilité; difficile de mesurer les conséquences financières.
La culpabilité même inavouée force le port d’un masque.

Mais allez donc affronter dans un tel cafouilli un procès à l’autre bout du monde?
Je ne regrette rien, en ce 3e Jour de la Terre, où Laurent a été porté en terre.





Photos prises par Rosalie du building (détruit depuis) devant lequel Laurent est décédé.



***
Mon rythme de montage va-t-il être ralenti maintenant que je dois travailler 5 jours/semaine.

04 avril 2009

MONTAGE 11

Soushiant Zanghanepour a été l'un des plus proches amis de Laurent à Paris. En Chine, ils occupaient la même chambre. Iranien d'origine, ses parents ont immigré au Canada; il est diplômé de l'University of British Colombia et son frère enseigne à l'université McGill. Cet ami travaille actuellement au Simons Centre for Disarmament and Non Proliferation Research, à Vancouver à titre de recherchiste et de responsable de projet sur l'Iran. J'ai fait une entrevue de presque deux heures avec lui.

De ce qu'il raconte sur les trois derniers jours à Beijing, presque d'heure en heure par moment, j'ai sélectionné une vingtaine d'extraits. Il était avec les 4 autres étudiants et l'étudiante qui ont accompagné Laurent à la clinique SOS International, la veille de l'accident. En fait, si une méthode de montage élémentaire est de commencer par jeter au panier ce qui est mauvais, je suis dans une situation difficile: j'ai presque tout conservé de ses propos. Ils sont détaillés, intéressants, personnels; Soushiant se met en scène dans un ordre rigoureux et avec une volonté de contrôle du récit; il sait ce qu'il veut dire et a imaginé comment le dire; il s'exprime dans un registre d'une théâtralité surprenante, joue le jeu du conteur à s'y prendre lui-même et à perdre le fil de sa pensée, admet la partialité de ses perceptions. Je l'ai laissé aller. Ses silences sont éloquents.
Une idée de structure jallit; je pourrais n'avoir que lui comme interlocuteur, comme fil conducteur, comme ligne rouge.
Mais à ce stade-ci, ce ne peut-être qu'une hypothèse...
Il me reste encore d'autres entrevues à décortiquer.
Et celles dont la sélection a été faite sont déjà loin dans ma mémoire.
La difficulté avec le rythme de travail que je m'impose ou que les circonstances m'imposent, actuellement, est que je suis dans une aventure sans limite, exploratoire, obscure.
J'avance à pas de tortue dans la nuit, par instinct, sans autre contrainte que moi-même et un volume inouï de souvenirs...
Mais j'avance.

03 avril 2009

3 ANS

Le texte suivant vient d'être publié dans le Coup d'Oeil, l'hebdomadaire local.

EN TA MÉMOIRE

Laurent,
Il y a trois ans, le 3 avril 2006, nous apprenions
que ton séjour
en Chine
venait de se terminer abruptement.

Ce fut affreux. Ce l’est encore.
Tu méritais mieux; nous aussi.
Chaque jour, cependant, tu es là,
dans nos pensées et notre cœur,
à la maison
et
dans les paysages des Jardins et du Québec

qui t’ont vu grandir.
Ton devenir, interrompu à 22 ans,
nous manque terriblement.
Nous restent les souvenirs
du plaisir de vivre
qui t'a habité de ta naissance jusqu'à la fin.


Ton père François, Michèle, ta mère et ta sœur Gabrielle.

C'est à la fois peu et énorme.
Pour rappeler tout ce qu'il fut.
Que d'afficher ce dépit,
masque d'une impuissante colère .

F.