27 juillet 2008

DÉCOUVERTES IMPROMPTUES

Je ne sais trop comment ce lundi 7 avril, je réussis à trouver les coordonnées de Sinofile, l’entreprise spécialisée dans la recherche d’articles de presse. Un réceptionniste de mon hôtel fit les approches d’usage au téléphone et j’eus au bout du fil, Wang Xudong, le directeur du service à la clientèle de l’information. Quelques minutes plus tard, je suis à l’hôtel d’à côté et lui fait parvenir par courriel cette demande :
Good morning,
As I told you before, I am looking for press clipping about my son
who passed away 2 years ago.
I am in China for that.
At 9:25, on the 3rd of April 2006, on the side road of the third ring road, my son, Laurent Pauze-Dupuis, 22 years old, jumped into traffic and was hit by double-decker bus. He died at scene; the incident occurred in front of Building No.1 Bai Jia Zhuan Dongli.
The only thing I can find by myself was on the net and the source was Jinghua Newspaper, published in 2006-04-04.
Hope that you can help me,
My mobile is 13717693791.
Thanks,

Puis je prends un taxi; direction : un marché, recommandé par la réception, dont l'adresse est écrite sur un bout de papier, en chinois, où je pourrai acheter un bracelet pour ma montre.
C’est le bon endroit. En entrant; c’est fait. Ma montre retrouve sa place au poignet.
J’en profite pour visiter les autres étages; Michèle m’a demandé de lui rapporter une veste matelassée en coton et comme ma valise est déjà remplie à pleine capacité, je décide d’en acheter une autre, petite qu’il me sera possible de traîner aisément. J’ai aussi en tête de retourner à la fabrique de soie de samedi dernier et de rapporter une couette en soie pour notre chambre à coucher. Dans ce building de 5 étages, les plafonds sont bas. Si j’ai le malheur de ralentir ou de m’arrêtai devant le moindre objet, les vendeuses de ces boutiques peu profondes et ouvertes sur des allées étroites m’offrent immédiatement un rabais alors que je n’ai encore rien demandé.
Soudain le décor me semble familier; au deuxième étage, surprise; je me retrouve, sans m'y être le moindrement attendu, là où Laurent, deux ans plus tôt, s’est fait faire deux habits qu’il n’aura jamais eu le plaisir d’étrenner: au marché de la soie, je suis.Je reconnais les enseignes où les tailleurs proposent la confection d’un habit sur mesure à peu de frais. Il me faut quelques secondes pour redonner une perspective au décor par le biais des photos fortement incrustées dans ma mémoire. Une ou deux figures me semblent familières. Je sors les cartes d’affaires conservées par Laurent, vérifie que je suis bien au bon endroit par le nom anglais des boutiques, leur montre une ou deux cartes. L’une des jeunes femmes reconnaît sa signature; elle a l’air tellement heureuse qu’elle ameute ses collègues qui se retrouvent à 4 ou 5 autours de moi; elle veut savoir comment il se fait que sa carte se trouve en ma possession.
-My son came here two years ago…and you made suits for him…But…
Je m’étrangle, ne peut retenir mes larmes…Il me faut de l'énergie et me resaisir.
-He died on the third ring road…
Elles me voient pour la première fois…J’en vois une ouvrir une petite armoire, sous un comptoir rempli de coupons de tissu, sortir trois papiers-mouchoirs de la boîte et me les tendre.
-Merci. Je m’excuse.
Je reviendrai avec son ordinateur leur montrer les photos. Elles sont émues, je le sens; pas de la même façon que moi.

La consul me téléphone et m’annonce qu’une traductrice va me rappeler plus tard pour me donner un rendez-vous le lendemain à l’ambassade : la police accepte de me rencontrer.
Je passe une partie de l’après-midi à tenter de retracer la fabrique de soie qui est à proximité du temple tibétain; je m’égare en me déplaçant à pieds. Je reprends un taxi.

Çà sonne. C’est le directeur de SOS International, le docteur Barrault.
-En sortant, votre fils a pris à gauche, et puis immédiatement à droite; on l’aurait alors perdu de vue. Une équipe a fait le tour de l’enclos et on a envoyé des taxis faire un tour pour tenter de le repérer…en agrandissant la zone de recherche graduellement.
-Merci, mais pourquoi ne pas avoir vérifié d’abord les trois sorties de cet enclos?
-Il n’y en a seulement qu’une de garder, devant le garage Volvo.
-Celle de l’arrière aussi, j’y ai pris des images hier.
-Elle ne l’était pas, il y a deux ans…Çà je puis vous l’assurer…
Cette conversation a-t-elle un sens?
Les taxis à sa poursuite ont bel et bien existé.
Laurent s’est échappé.
Heure de départ officiel de la Clinique : Entre 08 h 40 et 08 h 50.
L’ambassade canadienne a été prévenue immédiatement.

Heure d’enregistrement officiel du signalement de sa disparition, à l’ambassade : 09 h 30 selon la consul.

Heure officiel de l’accident mortel: 09 h 25

Je me change les idées en magasinant à la fabrique de soie: un édredon, un châle pour Michèle, deux cravates, une chemise et quelques mouchoirs...La nouvelle valise est déjà au trois quarts remplie.

20 juillet 2008

LE DERNIER EMPEREUR

C’est dimanche. Après un copieux déjeuner (Je peux ainsi sauter le repas du midi), un taxi me dépose au sud-est de la Place Tienanmen.
Il est tôt; je tiens à saluer religieusement le président Mao Zhedong et ne pas attendre des heures en file pour avoir accès au Mausolée où il est exposé dans un cercueil en verre; cet immense bâtiment fait face à la Grande Maison du Peuple. J’ai pu apercevoir un quartier complet de hutongs, masqué par de hautes clôtures métalliques, que des entreprises immobilières ont commencé à démolir ou à rénover, comment savoir?
Devant le monument aux héros du peuple que Laurent a déjà photographié, je rencontre le couple de professeurs américains avec qui j’ai passé la journée d’hier; ils cherchent le musée de la Planification de Beijing et m’apprennent que le mausolée est fermé pour une raison inconnue. Mao pourra dormir en paix ce dimanche 6 avril; son regard bienveillant, pétrifié sur une immense peinture, plane au-dessus de la Place; elle est suspendue à l’entrée principale de la Cité interdite que je compte visiter un peu plus tard.
Le bracelet de ma montre est brisé; je traverse une rue latérale voir si je pourrais en trouver un dans les multiples boutiques touristiques; je devrai m’y prendre d’une autre manière. La traversée du grand boulevard doit se faire par un large tunnel en rénovation; le bruit des marteaux-piqueurs est assourdissant et la poussière se répand malgré les rideaux de plastiques translucides; nous marchons, certains les mains sur les oreilles ou l’une sur la bouche.
L’air pur (!) de la sortie est rafraîchissant. Il faut peu de temps pour que je sois encadré cette fois par deux jolies étudiantes : l’une en histoire et l’autre en arts plastiques veulent aussi pratiquer leur anglais. Maintenant, je m’attends qu’après les formalités d’usage, elles me proposent de m’amener ailleurs, mais lequel. Allons y par curiosité et aussi parce que la solitude commence à me peser un peu. En quelques minutes, je me retrouve dans une galerie d’art attenante au Palais de la Culture; la jeune peintre y a quelques œuvres d’accrocher genre grand héron, bord d’étang, arrière-plan de bambous. La décision est facile; rien ne m’intéresse de cette exposition très traditionnelle. Je sors; elles aussi et repartent à la chasse.
Après avoir franchi les portes de la Place, sous la peinture de Mao et traversé un des 5 petits ponts enjambant un canal, je suis approché cette fois par un petit homme, dans la quarantaine; je comprends qu’il m’offre une visite en triporteur de la Cité interdite et qu’il s’occupe des billets pour tel prix. Ce me semble raisonnable. Je le suis dans un dédale de ruelle jusqu’à sortir des murs, traverser la rue longeant la Cité à l’est, s’engager dans le quartier de hutongs déjà visiter la semaine dernière; enfin son triporteur est là parmi plusieurs. Je m’assois. Il part; je revisite le quartier, en sors, traverse un autre boulevard, me conduis à un parc, la Colline de Charbon dont il paie l’entrée. Il doit laisser son véhicule à l’extérieur; les allées sont larges; un homme âgé calligraphie sur l’asphalte des signes avec un grand pinceau et de l’eau; un attroupement entoure paisiblement deux couples qui dansent un tango dont la mélodie s’échappe d’un radio-cassette; plus loin des dames âgées font leur tai-chi. Nous entrons dans un pavillon : c’est un autre salon de thé. Décidément, c’est le troisième. Nouvelle cérémonie. C’est sensiblement la même partout; là, comme hier, c’est gratuit si j’achète quelque chose. Pour des objets identiques, les prix sont plus de la moitié plus bas. Je suis preneur et reviendrai avec des tasses de différents formats et en mémoire un nouveau rituel culturel.
Au sommet de la Colline, à partir d’un petit temple en droite ligne avec les Palais de la Cité interdite, la vue est féerique. On a l’impression d’avoir la Chine à nos pieds.
Au retour, le guide me réclame 3 fois le prix convenu au départ; je règle pour la moitié.
J’entrerai dans la Cité interdite par l’arrière, après avoir longé le mur à l’est, et le large canal, partie des douves, qui longe le mur du nord. C’est là que les empereurs de la dynastie des Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911) s’assuraient indéniablement que leurs nombreuses concubines ne puissent être fécondées que par eux seul; la cour intérieure de cette Cité était surveillée et administrée par des eunuques; ils en profitèrent pour s'accaparer longtemps d'une large aprtie du pouvoir pendant que l'emperur batifolait dans ses jardins...
http://www.tv5.org/TV5Site/dotclear/index.php/Chine-cite-interdite-palais-imperial-des-dynasties-ming-et-qinghttp://www.chine-informations.com/guide/les-eunuques-en-chine_2164.html
http://www.azureva.com/chine/magazine/pekin/beijing-cite-interdite-FAQ.php3
Un audio-guide me permet de saisir en partie l’histoire de ce lieu mythique dont Bernardo Bertolucci a été le premier cinéaste occidental à bénéficier pour le tournage de son film, Le dernier Empereur en 1987; il remporta 9 Oscars dont ceux du meilleur film et de la meilleure réalisation.
Après trois heures de marche, je me retrouve à la sortie, épuisé où rapidement deux étudiants veulent se joindre à moi…
-Vous voulez pratiquer votre anglais?
-Oui…
-Vous êtes étudiants en histoire?
-Oui…
-Où avez-vous l’intention de me conduire?
-…
Sur ce, ils me faussent compagnie, sans plus…
Demain…Au boulot.

15 juillet 2008

LA GRANDE MURAILE ET LE RESTE

La wagonnette est là, le samedi matin, 5 avril, 08 h 00.
Le guide m’accueille et fait glisser la portière. Il monte à l’avant, aux côtés d’une chinoise dans la trentaine au volant.
Présentations en anglais: juste derrière moi, un étudiant néerlandais qui est en transit, en route vers le Vietnam où il va finir une maîtrise à Hanoi; un couple d’américains qui enseignent l’anglais dans un collège près de Shangai occupe le dernier siège.
Nous sortons de la capitale par une autoroute que nous n’abandonnons qu’au bout d’une demi-heure pour emprunter la rue principale d’une petite ville et une route de campagne, bordée d’arbres fruitiers en fleurs. Premier arrêt : les tombeaux des Mings. Là, je trouve un autre repère; Laurent est déjà passé par le même circuit: les arbres qui poussent dans la muraille. Avant de partir, j’ai dit à Michèle que je n’allais pas là-bas faire des photos car j’étais trop impressionné par celles que Laurent y avait prises…Reparties, nous nous arrêtons dans une boutique de jade dirigée par l’état. Au deuxième étage, j’aperçois un objet retrouvé dans ses effets personnels : une bille de jade, de la grosseur d’une balle de golf, rattachée par un ressort d’environ 8 centimètres à une poignée en jade; en balançant cette bille au-dessus d'une épule, on se masse une omoplate; il y en beaucoup à vendre en différentes teintes vertes. Cette fois, ce souvenir m’enfonce une émotion profonde dans la gorge . Je suis dans ses traces, c’est vrai; il s’est arrêté ici même et en a sélectionné un de ses souvenir utile pour touriste qui se trouve maintenant sur le dessus du piano dans le salon de la maison. Pendant des minutes, je tourne autour de ces balles de jade qui renferment jusqu’à 4 sphères sculptées par l’intérieur, s’emboîtant l’une dans l’autre; c’est l’un des plus vieux et des plus complexes artisanats du monde. Une vendeuse m’explique que celle que j’ai entre les mains représente la famille. Dommage pour elle qui ne sait pas qu’il manque une sphère à la mienne. Je ne me sens pas en mesure d’acheter quoique ce soit ici. En sortant je vois un artisan au travail qui a peut-être été photographié par Laurent.Le lunch est compris dans le forfait de cette excursion; le guide nous conduit dans la salle à manger et nous abandonne à une hôtesse; il ne mangera pas avec nous. Service à table sur un plateau tournant. Quand il revient nous chercher, il nous annonce que nous n’irons pas comme prévu au tronçon de Badaling; il y a trop de monde. Déception. Je perds la trace de Laurent.C’est samedi et il nous propose un autre site pas très éloigné : Shixiaguan.
Là aussi la muraille est envahi. Nous partons chacun de notre côté et devons nous retrouver à la camionnette dans 2 heures.
Je ne m’attendais pas à faire de l’escalade; les marches de pierre sont loin d’être toutes de la même hauteur; les écarts entre elles peuvent être de 15 à 40 cm. Par endroit, le passage est étroit et ne laisse place qu’à deux personnes : l’une qui descend et l’autre qui monte. Même les enfants doivent s’arrêter pour reprendre leur souffle. Il y a quatre tours, espacées d’environ 300 mètres; je m’arrêterai à la troisième.
Quoique limité par un mélange de nuages bas et de smog, le tracé de la muraille sillonne des montagnes rocailleuses et clairsemées de touffes d’arbustes en fleurs; c’est beau et apprécié par cette procession de familles chinoises de tout âge. Il n’y a pas un pourcent d’occidentaux.
La descente est plus facile. En bas, cinq jeunes hommes tiennent à me prendre en photo avec eux. Je suis une curiosité, tiens…
Au retour, par un chemin de campagne à deux voies jusqu’à l’autoroute, la chauffeur fait état de ses habiletés; elle ne se prive pas pour doubler (devrais-je dire tripler?), sur la chaussée d’extrême gauche, un camion à légumes dépassant un autre camion à légumes. Le guide n’a pas la chance de voir la scène; tourné vers nous, il se doute bien à notre mine que nous sommes pas habitués à faire des cascades; cette situation semble l'amuser. Pour nous distraire, il expose le reste de la visite : le stade olympique, un salon de thé, une fabrique de soie. Le choix de ces arrêts repose sur le potentiel d'achats que nous sommes en tant que touristes; malheureusement pour lui, nous ne sommes pas acheteurs, mais très curieux et épicuriens.
Le guide nous déposera finalement vers 18 h 00, au meilleur restaurant de canard laqué de Pékin (selon lui), non sans avoir réussi à vendre aux américains et à moi des billets de soirée. C’est là que l’étudiant néerlandais nous fera ses adieux. Le restaurant est à 50 mètres d’une salle de spectacle qui présente un show de kung-fu en représentation depuis 2001.
Malgré la fatigue, je ne le regretterai pas. Cet art martial millénaire est réellement acrobatique. Les chorégraphies le maniement des armes en groupe, les épreuves d’endurance à la douleur, la musique s’enchaînent à travers le récit initiatique d’un enfant dans un décor modeste mais efficace. Des autobus bondés de club de l’âge d’or américains ont déversé leur clientèle au parterre et au balcon. Standing ovation; réveil brutal; où suis-je? je m'etais assoupi.
Pas facile de trouver un taxi dans les environs. J’ai hâte de tomber dans les bras de Morphée.

PS Les photos sont de Laurent.

01 juillet 2008

LA RAGE

Comment ais-je pu oublier de raconter ici la première visite touristique faite la veille à la Place Tienanmen en après-midi? J’ai toujours eu du mal à reconnaître la dimension touristique de mes voyages. Depuis ma balade en auto-stop de Santiago de Chile à Montréal en 1969, cette sortie de trois mois à l’extérieur du pays m’a imprégné d’une manière de voir. Sans appareil photo, j’ai cherché à être le plus près possible des populations locales : c’est la mémoire qui nourrit mes souvenirs. Le confort n’a jamais été mon lot; je me laissais emporter par l’audace de l’aventurier préférant par exemple utiliser le transport en commun plutôt que l'autobus touristique. Une simple question d’âge ou d’économie? Sûrement. Mais surtout le plaisir de disposer librement de mon temps au hasard et à ma guise. Je n'ai fait mon premier voyage organisé qu'avec Michèle, l’année dernière, en Tunisie.
Avec le nombre des années, je deviens plus sage; les derniers jours et les perceptions de Carmen ne sont pas sans m’avoir inculqué une certaine crainte. Pourtant, il y a une petite voix intérieure qui me dit que je n’ai rien à craindre. Quand on perd un enfant, on sait qu’il ne peut rien nous arriver de pire. Même la mort apparaît aux parents comme une libération : peut-être le retrouverais-je? ou cesserais-je de m'en souvenir à jamais?
Laurent avait pris d’autres habitudes; il mitraillait littéralement ses loisirs avec sa caméra numérique depuis qu’il s’en était acheté une en 2005.
La plus grande place du monde, cette Place Tienanmen est un autre espace duquel Laurent a capté des photos et des video clips.
J’en ai donc une idée préconçue quand un taxi me dépose sur la rue bordant à l’est la Cité Interdite. Une centaine de pas à faire et je me retrouve sur Xichang’an Jie, grand boulevard qui sépare la Cité et la Place. Plus que jamais, je me souviens de la grande affiche noir et blanc qui ornait le salon de son logement de la rue Sainte-Élizabeth : l’étudiant faisant face à un char d’assaut.
Est-ce que cette célèbre photo habitait Laurent quand il mit les pieds au même endroit et utilisa son appareil pour saisir les premiers achats de souvenirs de son groupe ou la descente du drapeau à la tombée du jour, ce 25 mars 2006?Je repère le mat et le drapeau chinois de l’autre côté du boulevard; vais-je rester pour la cérémonie? Je remarque les grandes estrades le long des murs qui doivent être l’apanage des gens du Parti, les entrées de la Cité interdite et l’immense peinture de Mao qui surplombe toute la place.
C’est férié aujourd’hui, vendredi 4 avril : la Fête des Morts et l’Entretien des Tombes. Beaucoup de monde se balade; le trottoir est si large que le va-et-vient se fait dans les deux directions nonchalamment et sans engorgement.
Soudain, je suis encadré par un jeune homme à droite et une jeune fille à gauche : ils s’identifient comme étudiants en histoire et me demandent s’ils peuvent m’accompagner et pratiquer leur anglais. Pas de problème pour moi, bien que je ne sois pas le meilleur prof qu’ils peuvent trouver. Ils n’ont eu aucune difficulté à me repérer; je me rends compte que les touristes sont regroupés généralement autour d’un guide et que je suis un des rares occidentaux à déambuler seul. J’aurai donc deux guides privés. Curieux, ils tiennent à savoir ce que je suis venu faire en Chine. Je suis sur les traces de mon fils qui a été tué par un autobus sur le 3e périphérique, il y a deux ans.
Ils ne s’attendaient sûrement pas à cette confidence.
Je suis ému quelques instants, ne peut retenir une larme que j’essuie rapidement.
Ils sont désolés et comme pour me consoler se mettent à me parler du Canada.
Ils savent que c’est un vaste pays, bordé par deux océans; que les forêts sont remplies d’animaux sauvages et les rivières de poissons; que la population réside dans sa grande majorité en bordure de la frontière américaine; que les hivers sont rigoureux; qu’on parle français au Québec et que Montréal est une grande ville. Naturellement tout est relatif. Il y a 16 millions d’habitants à Beijing. Le coût de la vie les intéresse : le prix d’une maison, d’une voiture, d’une année d’université, d’une épicerie hebdomadaire…
Le temps passe vite. Nous avons longé toute la façade de la Cité interdite, traversé la rue qui la longe à l’ouest et un long mur de briques rouges jusqu’à une autre rue qu’ils m’indiquent comme étant la plus vieille de Beijing; il y a des boutiques des deux côtés. Ils m’emmènent visiter le Hutong adjacent. C’est un quartier récemment rénové de maisons en briques grises d’un niveau, à toit de tuiles ondulées où semblent co-habiter de nouveaux riches et des gens moins fortunés, si j’en juge par les portes de garages, les voitures de luxe stationnées en bordure et de vieilles bicyclettes garées dans une entrée menant à une cour-arrière.
De retour sur la plus vieille rue, les deux étudiants veulent prendre un breuvage; je pense leur payer une bière. Ils m’invitent à entrer dans un salon et me demandent si je veux prendre le thé. C’est une bonne idée. Je me retrouve assis devant une table basse avec eux à ma droite et une serveuse devant moi qui va m’initier à la cérémonie du thé. Nous aurons droit à cinq variétés différentes versées dans des contenants tout aussi différents. À chaque fois, les étudiants me traduisent la provenance et les caractéristiques de chacun. Il y en a aux lychees, aux fruits, aux roses, au jasmin… Après le cinquième service, on me demande si je veux poursuivre la dégustation.
Non. Je viens de me rappeler qu’au début on m’avait montré une carte des prix et que si je dois payer la part des étudiants, l’addition risque d’être salée.
Puis on me questionne sur les saveurs que j’ai aimées le plus. La serveuse revient avec une série de boîtes ouvrées renfermant mes préférences dans de jolis contenants en métal; la pression de la vente s’accentue; les étudiants s’en mêlent; ce sont des souvenirs authentiques. Tant et si bien que je sors de là avec un double assortiment et une facture que j’aurais souhaité moins élevée.
Ais-je été arnaqué? J’ai effectivement l’impression que le coup était monté et que je suis tombé dans le panneau; je me console en me disant que je ne suis sûrement pas le premier. Je m’en veux; j’ai du mal à reconnaître ma vulnérabilité; la résistance s’apprend à l’usage.
En sortant, les étudiants ont la gentillesse de m’arrêter un taxi et d’indiquer au chauffeur l’adresse de mon hôtel, à partir de la carte d’affaire que je leur ai montrée.
Subitement, une rage par rapport à Laurent et ses amis m’envahit. S’il avait gardé ou si on lui avait laissé son porte-monnaie, il aurait pu rentrer lui aussi à son hôtel…Il serait encore vivant.
Mais en vouloir à soi-même ou à d’autres ne conduit nulle part.
En rentrant à l’hôtel, je retrouve la carte d’affaire de l’agence de voyage avec laquelle il était allée à la grande muraille; je réserve pour le lendemain. On passera me prendre à 08 h 00.