30 avril 2010

Un labyrinthe

Avril se termine. Le mois terrible.
“Le trois fait le mois.”
Une nuit de 2006 , suspendue à l’impensable. Il n’y a rien à faire.
Qu’attendre l’inévitable. Et ce fut…
Dix-neuf jours plus tard, Jour de la terre, un dernier ventre absorbe Laurent…

Période agitée en cette quatrième année depuis.
Support à Alain pour un film sur la rivière Châteauguay; bisbille au conseil d'administration du CSSS avec le président; cabane à sucre en bermuda et chapeau de paille; fête de la famille Pauzé à Pâques et course aux oeufs de lapins autour de la maison; anniversaire de Michèle le lendemain; une grenouille qui veut se faire plus grosse que le boeuf au travail; montage d’images pour Daniel-Jean; funérailles de Michel Chartrand; Javier chez Renaud-Bray; départ de Gérard et Suzanne pour la Turquie; deux concerts (Jenne Carey de McGill et Alain Lefèvre à la Place des Arts); combat de Lyne contre la maladie; deux films sur écran (Un Prophète et Océans); retrouvailles au téléphone de David, mon médecin; confirmation du méchoui cet été pour mon frère Richard; réaménagement de ma pièce de travail; visite de Paul et Renée; éclosion des muscaris, des tulipes, du feuillage vert tendre; finale en bordée de neige détrempée à briser des arbres et victoire du Canadien de Montréal contre Washington.

Dans le labyrinthe de ce mois maudit, qui par téléphone, courriel, envoi de fleurs, Facebook, carte, on se souvient de lui. Yumiko, Noriko et Alain, Jan-Christoph, Sasha Peters, Maryam Pasha, Ariane, Alexandre, Francine, René et Dagmar…

Une attente. Soushiant devrait être à Montréal, la semaine prochaine.

Une satisfaction. Yumiko réalise une aspiration qu’elle partageait avec Laurent: l’Amérique du Sud, y travailler, y voyager.
Image extraite du 1er film réalisé par Laurent
Eternal Love of Japanese puppets

Une surprise. La seule personne à avoir vécu d'aussi près avec Laurent et que je n'avais pas encore rencontré:

Cher M. Dupuis, 

je m'appelle Frédérick Bruneault. Je partageais avec Laurent l'appartement à Paris, rue de la Folie-Régnault, il y a quatre ans. Je ne vous ai jamais écris, j'ai vécu le décès de Laurent au printemps 2006 et même temps qu'une rupture amoureuse douloureuse et un retour tumultueux au Canada en juin, et une partie de mon silence s'explique probablement par une lente émergence de ce tourbillon dans lequel je me suis alors retrouvé. Je viens tout juste de voir le blog que vous avez dédié à votre fils, j'ai été extrêmement touché et j'ai donc décidé de vous écrire, en espérant que vous me pardonnez mon mutisme...

C'est d'abord en tant que collègues au Parlement à Ottawa que Laurent et moi, nous nous sommes rencontrés. J'ai par la suite eu la chance de vivre avec lui pendant quelques mois (dans un espace restreint d'ailleurs, disons que les appartements à Paris ne sont pas ceux de Montréal... comme vous le savez très bien). J'ai lu quelques commentaires rapportés sur votre blog; je ne répéterai pas tout ce qui s'est dit sur Laurent parce que je pense tout autant de bien de votre fils. Une commentaire que j'ai lu doit pourtant être mentionné parce qu'il arrive à capturer ce que Laurent étais selon moi (je crois qu'il s'agit d'un mot de Anna Gruending...): Laurent était pratiquement une figure romantique (dans le sens du romantisme du XIXe), en ce sens qu'il était passionné, intelligent, vif, toujours prêt à lancer une blague, travaillant (je l'ai vu plusieurs soirées travailler ardemment à ses cours à Sciences Po, je me souviens particulièrement de son travail en pensée politique sur lequel nous discutions souvent, je suis moi-même étudiant en philosophie) et surtout tout ce qu'on peut vouloir être, c'est-à-dire humaniste et exigeant, tout autant que généreux et aimable...

J'ai maintenant terminé ma thèse de doctorat (j'en étais à ma deuxième année en 2006...) et je réalise à présent que tout au long de ce processus de rédaction, souvent déroutant, parfois douloureux, assurément difficile et solitaire, j'ai souvent pensé à Laurent, plus exactement j'ai régulièrement été en conversation avec lui, imaginant ses réponses ingénieuses ou ses critiques acerbes mais justes, plus que cela il faisait partie de ce long dialogue dans lequel j'étais engagé avec moi-même... En fait, bien au-delà de cet exercice somme toute circonscrit, Laurent sera toujours pour moi un interlocuteur de choix et une source de motivation inépuisable. Rien au monde n'était trop grand ou trop beau pour lui, et il est constamment l'occasion pour moi de dépasser mes limites (ou celles que je m'impose inconsciemment...). 

Je me rappelle avoir visionné avec Laurent un film relatant l'expédition que vous avez faite en voilier, cette traversée de l'Atlantique, et je me rappelle surtout de la fierté, de l'admiration et du bonheur de votre fils qui regardait ce film pour la nième fois, mais qui semblait encore le découvrir pour la première fois... Votre fils vous aimait profondément, votre femme et vous, ainsi que sa soeur, et toutes ces belles qualités que tous lui attribuent sont en fait le résultat de cette inspiration que vous lui avez transmise et qui se reflète maintenant sur nous...

Aujourd'hui, j'ai à nouveau pensé à Laurent, mais cette fois j'ai voulu (ou j'ai plutôt eu la force de) le partager avec vous...

Frédérick

C'est toujours agréable de savoir que quelqu'un a une pensée pour Laurent et pour nous.
Comment sortir de ce labyrinthe sans s'envoler...Avec un destin différent de celui d'Icare.