Peu après le décollage de Tunis-Carthage, hier vers 13H00, l’image de Laurent et sa voix se chevauchent dans ma tête comme s’il était encore vivant. Nous volons vers Paris; vers là où il aurait dû revenir. Quelle drôle de coïncidence que de se retrouver entre ciel et terre, aujourd'hui, date de son décès!
Au-dessus de la Méditerranée, je pense à ceux qui sont revenus de Chine, le lendemain, 4 avril 2006.
Elles s’appellent Flora Bellina, Laila Bennis, Flora Boilot, Sara Guedj, Barbara Lopez Villamante, Marilia Mayaki, Anne-Laure Peytavin et Laura Stielike.
Ils s’appellent Pedro Batisto Barbosa, Ali El Quitouni El Idrissi, Jan-Christophe Hausewald, Mekki Lahlou, Ruben Moreno Zavala et Soushiant Zanganehpour.
Originaires de cinq continents; ne manquent que l’Antarctique et l’Océanie.
Ils vont eux aussi sur Paris où ils étudient.
Leur valeur ne tient pas nécessairement à la fortune de leurs parents.
Ils ont tous du talent; des rêves aussi, dans un dosage différent, pour leur propre avenir et celui de l’humanité.
La veille, ils ont encaissé la mort de mon fils. Ils ont dû laisser son corps là-bas; ce doit être effroyable de partir à 15 et de revenir à 14. J’aime croire que chacun d’eux ramène une portion de son esprit en Europe et qu’ils vont en partager une partie avec Yumiko Locussol, sa petite amie étudiante de la même école. Ils doivent porter aussi avec leurs bagages, ceux de Lo.
Je salue donc aujourd’hui et embrasse ces jeunes, comme membres d’une équipe, forgée dans l’adversité de défaites et de victoires, affligée par la disparition de l’un de leur meilleur joueur, mais liée à jamais par l’affection du souvenir.
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En survolant les Alpes, je pense à d’autres jeunes que Laurent vient de connaître là-bas pendant quelques jours.
Elles s’appellent Adriana Guzman, Lucia Stocker, Pronita Pronita, Vanessa Tarbes, Emily Weideman et Xlong Winnyey
Ils s’appellent Hassan Hakbar, Erik Lönnroth, Diogo Noivo, Sasha Peter et Aneesh Venkat.
Cette fois, de tous les continents, sauf l’Antarctique.
Ils sont impliqués du même bord dans le Comité pour le Désarmement et la Sécurité Internationale; ils y exercent leur science, leur intérêt, leur conviction, leur stratégie, leur ambition…
Laurent a mal à dormir tant il croit à l'exercice. Une résolution sort in extremis. Où est-elle passée?
Avec leurs rêves de paix et d’amitié à peine formulées, avec l’énergie de l’espoir et du désespoir, avec la densité des relations qui se créent dans les festivités et les enjeux de cette même jeunesse, je salue enfin ce serment de retrouvailles que le destin s’est chargé d’anéantir aussi sournoisement qu’il lui avait donné naissance et j'embrasse Sasha qui a eu la gentillesse de m'accueillir à Düsseldorf, l'été dernier.
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Une dizaine d’heure plus tard, en rentrant à la maison, Michèle découvre un hortensia laissé par Yumiko sur la galerie. René, le parrain de Lo, qui est venu nous chercher à l’aéroport déballe un énorme goûter préparé par Dagmar, la marraine. Sébastien et Arnauld, des grands amis de Lo ont laissé un message sur le répondeur; ils seraient venus faire un tour. D’autres messages : Laurence, France, Camille, Pierre.
Plein de courriels aussi au sujet de Lo: Kate, Camille, le père de Sébastien, Jacques-Pierre, frère de Laurence et ma soeur Lucie qui m’envoie encore des PPS trop lourd mais charmant. Dodo et réveil à quatre heure trente du matin; plus capable de dormir; en fait il est 10 H 00 pour moi.
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Aujourd'hui, pendant qu’on déballe la Tunisie de nos valises, un magnifique bouquet de fleurs blanches variées nous parvient de Rosalie, une autre étudiante. Beaux becs.
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Tout çà pour dire...
"Notre jeunesse (...) est mal élevée, elle se moque de l'autorité et n'a aucune espèce de respect pour les anciens.
Nos enfants d'aujourd'hui ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce, ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais."
"Je n'ai plus aucun espoir pour l'avenir de notre pays si la jeunesse d'aujourd'hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible."
"Notre monde a atteint un stade critique. Les enfants n'écoutent plus leurs parents.
La fin du monde ne peut pas être très loin."
"Cette jeunesse est pourrie depuis le fond du coeur. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux.
Ils ne seront jamais comme la jeunesse d'autrefois.
Ceux d'aujourd'hui ne seront pas capables de maintenir notre culture."
Une précision s'impose toutefois :
- La première citation est de Socrate (470-399 av. JC),
- la deuxième est d'Hésiode (720 av. JC),
- la troisième est d'un prêtre égyptien,
- la quatrième a été découverte sur une poterie d'argile dans les ruines de Babylone.
François