LE 22 AVRIL, JOUR DE LA TERRE
TRÈS CHER FILS
En te heurtant, un autobus de Chine
Vient de te projeter dans le plus long voyage de ta vie.
Celui de l’éternité.
Tu visiteras, je l’espère, occasionnellement,
Mes rêves, ceux de ta mère et de ta sœur
En inondant de ton lumineux sourire
L’obscurité de nos sommeils.
Les rêves aussi de ta large famille mondiale.
Mais surtout ceux de Yumiko, ta tendre moitiée, ta compagne, ton amour
Dont la douleur en apprenant la nouvelle au téléphone m’est apparue
Aussi intense que celle d’une Palestinienne, éprouvée par la mort d’un proche.
Dans la réalité de tous les jours,
Il me restera les souvenirs
De tes joies qui ne cessaient de se répandre et de s’accumuler
Depuis ta naissance.
Je me souviens
Du dernier voyage que nous avons fait ensemble.
En autobus,
Seul avec toi, digne représentant de la famille,
Le long de l’Eau de ce large fleuve dont tu portes le nom.
Tu m’accompagnais à Gaspé
Pour le départ d’une traversée
À laquelle j’avais consacré bien des années de préparation
En ne prenant pas la peine de te sécuriser suffisamment.
Tu avais choisi d’y lire
Pour meubler nos silences incontournables,
Ce livre qui a valu à Normand Lester
d’être mis à pied de la Société Radio-Canada :
Le livre noir du Canada anglais.
J’ai cru un moment que tu l’avais choisi pour me faire plaisir.
Je compris vite que tu étais
De la trempe des hommes
Qui tiennent à se faire une idée
Par eux-mêmes et en eux-mêmes,
Tu savais que le monde existait avant toi
Et tu t’efforçais malgré tout de comprendre l’Histoire.
Je réalisais que tu ne te laissais pas emporter
Par quelques formes de dogmatisme que ce soit.
Au contraire, tu étais celui qui me rappelait
À l’ordre quand il m’arrivait de m’égarer
Dans une remarque de mauvais aloi.
Ce qui ne nous empêchait pas
De partager
La même vision d’un pays
Sans déficit démocratique
Libre, ouvert et accueillant pour tous,
Comme tu savais l’être.
Ta Tolérance n’avait rien de naïf:
Tu fus gardé dès l’âge de deux ans
Par des fermiers anglophones.
Tu as découvert chez eux les humeurs de la Terre
Le cycle des saisons, les exigences d’une ferme laitière,
Les animaux.
En ramassant des roches dans les champs,
Tu as manifesté ton affection pour le grand Air et l’effort physique.
Tu as rencontré, là, des enfants de ton âge, anglophones,
Mais surtout ton ami Tom,
Avec qui tu arrivais facilement à t’amuser
Sans parler la même langue.
Si j’ai bien compris les récentes confidences de Tom,
C’est aussi sur cette ferme, entre 4 et 6 ans,
Que le mystère de la Féminité,
Vous est apparue pour la première fois
Dans toute sa complexité.
Cette amitié s’est prolongée dans le Feu de l’action
Pour un sport d’équipe, le hockey,
Dans une franche camaraderie
Avec de nouveaux amis
Des Flames de Napierville.
La nature jouait un grand rôle dans ta vie.
Encore plus jeune,
Un colley, Galaxie,
Dont ton oncle Normand
Nous avait fait cadeau, était aussi ton compagnon de jeu
Avec lequel ta masculinité cette fois prenait racine.
Ce chien fut pour toi,
Un cheval, un taureau, un lion et un ours.
Ton instinct de chasseur s’est ainsi développé.
Je te vois encore
T’embusquer, t’approcher subrepticement
À pas de loup, viser et tirer avec une arme imaginaire
La Bête qu’il te fallait maîtriser.
Je n’ai jamais compris vraiment d’où cela te venait.
D’un dessin animé?
Ou peut-être simplement
Parce que tout le monde trouvait çà drôle.
Étrangement, c’est ce chien qui t’a fait connaître
La Mort.
Car comme toi,
Un véhicule l’a frappé
En même temps que
Sa soif de liberté et de découvertes.
Galaxie t’a fait verser tes premières larmes de l’Irrémédiable.
Tu venais d’apprendre instinctivement
Que tu serais désormais privé de jouer avec lui.
Plus tard tu t’exerceras à l’arc et ton oncle Jean-Claude te fournira
Des armes que tu manipulais avec d’infinies précautions.
Ces chevreuils que tu pourchassais dès l’aube,
Ta mère aurait préféré que tu les photographies.
Tu répliquais qu’elle serait bien contente
Quand il serait au congélateur.
Tu savais la prendre par où elle nous avait pris :
Par le ventre.
J’ai été très tôt fier de toi et le suis encore.
Comment ne pas l’être quand tu reçois le titre
De personnalité de l’année à l’école secondaire Louis-Cyr
Et qu’en plus, en te présentant dans la salle,
La gente féminine, séduite par ton charme,
T’accueille comme une rock star.
Tu ne me semble pas en avoir abusé .
Comment ne pas être fier d’un fils qui a tapissé sa chambre
(Au grand dam de ta mère)
Avec les pages d’un calendrier représentant les chars de l’année,
Chacun accompagnés d’un modèle féminin en costume de bain,
Quand je me fis répondre que celle que tu trouvais
La plus belle était celle qui avait les plus beaux yeux.
J’étais tout aussi fier de ton esprit sportif
Quand après un match de hockey un peu rude,
En mangeant ta poutine au restaurant
Tu allais taper sur l’épaule d’un adversaire
Pour lui serrer la main.
Comme j’ai été fier aussi quand tu t’es ouvert comme un lotus
Au cegep du Vieux-Montréal
En te mettant à dévorer des livres
Comme tu ne l’avais jamais fait auparavant.
C’est à travers l’école publique que tu t’es dessiné
Ton parcours de connaissance.
Permets-moi de remercier en ton nom celles et ceux
Qui t’ont permis d’être ce que tu étais, de te développer et même de te rendre
Jusqu’à Paris et en Chine,
Pour pratiquer un Art que tu maîtrisais spontanément,
Celui de la diplomatie.
Tes derniers efforts académiques tu les auras consacrés au désarmement et à la sécurité internationale.
Tu n’étais pas seul.
À cette simulation des Nations Unies de Beijing, le WORLDMUN 2006,
Plus de 1300 étudiants, venus de 37 pays et de 162 universités avaient répondu
À l’invitation du secrétaire-général, monsieur Kofi Annan..
Ta mentalité, ton écoute, tes intensités,
Ta joie et ta luminosité circulent désormais à travers le monde,
Par et à travers eux.
Cela s’appelle du Rayonnement.
Je te l’avoue franchement, je ne me doutais pas que tu occupais
Un si large espace planétaire.
Ce mouvement rejoint la solidarité des Jeunes de notre Terre.
De tous ceux qui oeuvrent pour la Paix, l’Éducation et la Santé
Dans des luttes contre la pauvreté, la faim, le contrôle de l’eau, la protection de l’environnement,
Le développement durable (Sans langue de bois)
Celles des réfugiés, des prisonniers politiques, des femmes
Et celles des opposants à la guerre, aux invasions barbares, à la torture, à la tyrannie, bref à l’Injustice.
Je ne crois pas que ce soit une coïncidence si les circonstances nous ont amenés
À te porter en terre, à 22 ans, le 22 avril, Jour de la Terre.
Dans les Béatitudes chantées ensemble, au début de cette cérémonie,
Il y en a une qui me rappellera tant qu’un souffle de vie m’habitera,
Que tu étais un artisan de la paix, un pacifique, un pacifiste.
J’espère avoir témoigné sans trahison de l’énergie et du plaisir que tu avais à réfléchir et à jouir de la Vie.
En terminant je te retourne les trois mots, précédant ta signature, de ta dernière lettre manuscrite, datée du 8 mars dernier :
TU ME MANQUES
Ton père,
François Dupuis